Bon nombre d’enfants adoptés veulent savoir d'où ils viennent. Ils se lancent alors à la recherche de leurs parents biologiques. Au bout du chemin: une réalité qu'ils n'imaginaient pas forcément."MIGROS MAGAZINE" del 19 aprile 2018 Testo di Tania Araman
Un prénom, une
date et un lieu de naissance. C’est avec ces maigres informations,
occasionnellement agrémentées d’une photo aux couleurs passées ou de la copie
d’une lettre remise au berceau, que sont régulièrement publiées sur Facebook des
petites annonces intitulées «Recherche parents biologiques». Autant de
bouteilles lancées à la mer par des enfants adoptés dans l’espoir de retrouver
leurs origines. Pour eux, comme pour tant d’autres qui n’ont pas forcément
recours aux nouvelles technologies (lire encadré), débute alors un long chemin,
souvent tortueux, vers d’éventuelles heureuses retrouvailles, mais aussi de
potentielles déconvenues.
Une aide dans les
démarches
«Nous faisons
parfois face à des dossiers épineux et les démarches peuvent s’échelonner sur
plusieurs années», confirme Stephan Auerbach, médiateur et responsable du
secteur des services transnationaux du Service
social international – Suisse (SSI), à Genève. C’est à cette
organisation, présente dans 120 pays et qui défend les droits des enfants, des
parents et des migrants, que les personnes en recherche d’origines peuvent
s’adresser pour obtenir une assistance psychosociale et pour les épauler dans
les formalités administratives et juridiques. Celles-ci pouvant s’avérer assez
lourdes, surtout lorsqu’il s’agit d’aller trouver des informations dans
d’autres pays. «Grâce à notre large réseau, nous agissons en tant
qu’intermédiaire. Légalement, toute personne adoptée a le droit d’avoir accès
au dossier constitué à sa naissance. C’est sur cette base que nous essayons de
localiser la famille biologique.» Une tâche qui n’est pas toujours aisée, et
même parfois impossible, par exemple en cas d’adoption illégale.
“Les démarches peuvent s’échelonner sur plusieurs
années”
—Stephan Auerbach
Dans ces
moments parfois pesants, si un soutien moral est nécessaire, le SSI aiguille
ses protégés vers l’association genevoise Espace
A, qui accompagne toute personne concernée par des questions
d’adoption, notamment celles qui se lancent dans une recherche d’origine.
«Entre l’espoir, la peur, l’excitation, la frustration et la déception, les
émotions qu’elles ressentent durant ce parcours sont très ambivalentes: de
véritables montagnes russes…», relève Marion Tièche, psychologue et
psychothérapeute à Espace A. «Notre travail consiste parfois à freiner leurs
ardeurs, à les préparer au fait que tout ne se déroulera peut-être pas comme
elles l’avaient imaginé.»
Attentes et réalité
D’autant que
les attentes sont souvent grandes. «Beaucoup d’enfants adoptés ont l’impression
que toutes leurs questions existentielles vont être résolues lorsqu’ils
trouveront leur famille biologique, observe Stephan Auerbach. Il est donc
important de discuter dès le départ de leurs motivations, qui varient fortement
d’une personne à l’autre.» Même son de cloche chez la psychologue: «Certains
vivent depuis toujours avec l’idée qu’une fois atteint leur majorité, ils se
lanceront à la recherche de leurs origines; d’autres en ressentent le besoin
lorsqu’ils fondent eux-mêmes une famille. Les raisons peuvent être aussi
médicales, quand il s’agit de découvrir ses antécédents.» Et de préciser que
cette envie de connaître son passé ne se retrouve pas systématiquement chez
tous les adoptés.
“Notre travail consiste parfois à freiner leurs
ardeurs, à les préparer au fait que tout ne se déroulera peut-être pas comme
elles l’avaient imaginé”
—Marion Tièche
De même que
tous les parents biologiques ne souhaitent pas entrer en relation avec l’enfant
qu’ils ont mis au monde bien des années auparavant. «Aucune loi ne les y
oblige», souligne Stephan Auerbach. Sur les quelque 80 cas que le SSI traite
chaque année, seul un tiers aboutit à une rencontre. «Une fois la localisation
effectuée, nous cherchons à établir le contact. Même si une mère n’oublie
jamais le bébé qu’elle a porté, certaines ne souhaitent pas rouvrir une plaie
qui a mis du temps à cicatriser. Parfois, leur propre famille n’est même pas au
courant.» Difficile pour les enfants éconduits d’accepter cette triste
réalité. «Ils peuvent vivre cela comme une injustice, qui fait écho à celle de
l’abandon, explique Marion Tièche. Et lorsque les recherches n’aboutissent pas,
certains ont du mal à renoncer, après avoir investi autant de temps et
d’énergie.» Précision de Stephan Auerbach: «Dans ces cas-là, il est important
qu’ils sentent qu’ils ont tout essayé, qu’ils ont fait tout ce qui était en
leur pouvoir. Alors seulement ils peuvent éprouver un certain apaisement.»
Un lien à maintenir ou
non
Et qu’en est-il
de ceux qui parviennent, enfin, à entrer en contact avec leur famille
d’origine? «Beaucoup s’imaginent que c’est l’aboutissement de leur voyage,
relève la psychologue. Mais toutes les rencontres ne se passent pas comme dans
les films. Se pose ensuite la question du lien à maintenir et ils se retrouvent
parfois face à des demandes très fortes, qu’elles soient financières ou
affectives. Nous devons alors les aider à déterminer la distance qu’ils
souhaitent mettre entre eux et leurs parents biologiques.» Jamais de happy end,
alors? «Si, il arrive que tout se passe très bien lorsque les deux parties sont
en accord sur la relation qu’elles souhaitent renouer. L’expérience peut alors
être enrichissante et riparatrice”.
“Aujourd’hui,
je me sens apaisée”
—Emmanuelle 51 ans, infirmière de formation, Sion.
D’autant que les attentes sont souvent grandes. «Beaucoup d’enfants adoptés ont l’impression que toutes leurs questions existentielles vont être résolues lorsqu’ils trouveront leur famille biologique, observe Stephan Auerbach. Il est donc important de discuter dès le départ de leurs motivations, qui varient fortement d’une personne à l’autre.» Même son de cloche chez la psychologue: «Certains vivent depuis toujours avec l’idée qu’une fois atteint leur majorité, ils se lanceront à la recherche de leurs origines; d’autres en ressentent le besoin lorsqu’ils fondent eux-mêmes une famille. Les raisons peuvent être aussi médicales, quand il s’agit de découvrir ses antécédents.» Et de préciser que cette envie de connaître son passé ne se retrouve pas systématiquement chez tous les adoptés.
—Emmanuelle 51 ans, infirmière de formation, Sion.
“L’envie de connaître mes origines n’est venue que
tardivement, à l’âge de 47 ans. Ou peut-être existait-elle déjà, enfouie
au fond de moi, mais j’avais peur de blesser mes parents adoptifs, envers qui
je me sentais redevable. Comme je le leur ai expliqué, j’ai entrepris cette
démarche pour moi, et non contre eux. De mon point de vue, nos parents restent
ceux qui nous ont élevés, mais connaître ses origines est légitime. Or, je ne savais pas grand-chose, si ce n’est que je
venais du Liban. Je connaissais également le nom de l’orphelinat dans lequel
j’avais passé mes six premiers mois. Mais le nom et le prénom qui m’avaient été
donnés étaient fictifs. Ce n’est qu’en me rendant sur place, en 2014, et en
ayant eu la possibilité de consulter les registres, que j’ai appris les nom et
prénom de ma mère. Je suis ensuite passée
par plusieurs canaux: les ambassades, l’association qui avait organisé mon
adoption, divers organismes administratifs, le CICR,etc., démarches
longues et épuisantes, sans résultats. C’est finalement grâce aux tests ADN que
la situation s’est dénouée: ils m’ont permis de découvrir des membres plus ou
moins éloignés de ma parenté biologique. Après des heures et des heures de
recherches sur internet dont Facebook et de nombreux mails, j’ai retrouvé la
trace d’un cousin qui a tout de suite réagi. C’est lui qui m’a raconté qu’une
de ses tantes avait dû abandonner un enfant à la naissance. Il s’agissait bien
de ma mère. J’ai appris qu’elle n’avait que 17 ans lorsqu’elle s’est retrouvée
enceinte sans être mariée et que ses parents l’avaient contrainte à
m’abandonner. Elle avait même cherché à me retrouver dans tout Beyrouth.
“J’ai eu beaucoup de chance: toute la
famille était au courant de mon existence”
—Emmanuelle
“J’ai eu beaucoup de chance: toute la
famille était au courant de mon existence. J’ai été alors mise en contact avec
ma demi-sœur, avec qui j’ai correspondu pendant plus d’un mois avant
d’organiser un Skype avec ma mère. Je ne réalisais pas encore très bien ce qui
m’arrivait. D’ailleurs, j’ai encore un peu de mal à y croire aujourd’hui.
Pourtant, en février, je me suis rendue en Australie, où ma mère avait émigré
avec sa famille en 1969. Même si ce n’était pas les grandes retrouvailles
éplorées auxquelles tout le monde s’attend, nous avons l’une et l’autre été
heureuses de nous rencontrer et de pouvoir partager nos parcours de vie. Bien sûr, toute notre relation reste à construire, ce
n’est pas un conte de fées. La situation est encore neuve, il y a beaucoup à
digérer. Mais aujourd’hui, je me sens apaisée. Et je continue d’exploiter les
résultats de mes tests ADN pour retrouver mon père. J’encourage vivement les
adoptés qui recherchent leurs origines à faire tester leur ADN: c’est une piste
scientifique qui va droit au but.»
«J’ai toujours ressenti le besoin de savoir qui j’étais, d’où je venais»
Anne-Christine Vuagniaux, 35 ans, éducatrice de l’enfance, vice-présidente de
l’association Adopte.ch, Lausanne.
«Mes
parents ne m’ont jamais caché que j’avais été adoptée: venant de Colombie, je ne leur ressemblais pas physiquement. De mes
origines, je ne savais que ce qu’on leur avait raconté: bébé, j’avais été
abandonnée devant un orphelinat et c’était là qu’on m’avait donné
arbitrairement mon nom et mon prénom, Ana Cristina, que mes parents adoptifs
ont francisé. J’ai toujours ressenti le besoin de savoir qui j’étais, d’où je
venais. Mais ce n’est qu’à l’âge de 30 ans que je me suis autorisée à
entreprendre des démarches concrètes. J’ai entamé mes recherches seule, sans en
parler à mes parents. Cela m’appartenait, je voulais avancer à mon rythme. J’ai
adhéré à l’association Adopte.ch où j’ai trouvé un soutien qui m’a permis de
m’adresser au Service social international. J’ai finalement décidé de me rendre
en Colombie: j’avais envie de pouvoir me représenter mon pays d’origine. J’en
ai alors parlé à ma mère, qui m’a soutenue dans ma démarche. Avant de partir,
j’avais fixé un rendez-vous avec l’organisation colombienne en charge des
questions d’adoption. J’ai été très mal reçue. On m’a fait comprendre qu’il n’y
avait rien à chercher. J’ai été mieux accueillie à l’orphelinat. Je suis tombée
sur une personne qui travaillait déjà là-bas quand j’étais bébé et nous avons
noué un lien très fort. Elle m’a été d’une grande aide, de même que d’autres
personnes rencontrées sur place”.
“J’ai entamé mes recherches seule, sans en parler à mes parents”—Anne Christine Vuagniaux
"Je
me suis également rendue dans une clinique mentionnée dans mon dossier, où j’ai
découvert que j’avais été admise pour une tuberculose avant mon arrivée à
l’orphelinat. Dans les archives, mon nom et mon prénom figuraient dans le
registre des admissions. La version de l’histoire donnée à mes parents
adoptifs, selon laquelle j’avais été déposée devant la porte de l’orphelinat et
que celui-ci m’avait donné mon nom et prénom, était donc fausse. Après un mois,
j’ai compris que je n’allais pas obtenir plus d’informations. Je suis donc
rentrée chez moi. Même si je n’ai pas retrouvé ma famille d’origine, ce voyage
m’a beaucoup apporté: je me suis réapproprié mon prénom – mes amis proches
m’appellent Ana – ainsi qu’une partie de mon histoire. Et j’ai rencontré des
gens qui aujourd’hui comptent énormément pour moi. Je pourrais explorer
d’autres pistes, mais cela demanderait beaucoup de temps, d’énergie et de
moyens: en Suisse, aucune aide financière n’est prévue pour accompagner les
personnes adoptées dans leurs recherches. Je trouve que c’est un manque.»
«Mon rêve s’est transformé en
cauchemar»
Sarah Miserez, 17 ans, gymnasienne, Yverdon.
«J’ai
toujours eu envie de retrouver ma mère biologique, qui est colombienne. Même si
mes parents adoptifs sont géniaux, je sentais, dans mon cœur, qu’il manquait
une pièce du puzzle. Quand je me suis inscrite sur Facebook, fin 2015, j’ai
entré le nom et le prénom qui avaient été transmis à mes parents par
l’orphelinat dans la barre de recherche. Sur un des profils qui
correspondaient, il y avait une photo d’une femme qui me ressemblait. Avec
elle, une petite fille: c’était moi plus petite! La veille de Noël, elle a
posté une nouvelle photo avec un garçon plus âgé. Or, je savais qu’elle avait
eu un fils avant moi. Les âges et les prénoms correspondaient, cela ne pouvait
pas être une coïncidence. Je voulais lui envoyer un message tout de suite, mais
mes parents m’en ont dissuadée. Ils voulaient d’abord se renseigner sur la
meilleure manière d’agir. Je lui ai finalement écrit en janvier, en lui faisant
comprendre à demi-mot qui j’étais (je ne savais pas si elle avait parlé de moi
à son entourage). Elle a très vite répondu. Au début, tout s’est passé à
merveille. J’étais très heureuse, je réalisais le rêve de ma vie! J’ai fait la
connaissance, par des appels vidéo, de ma grand-mère, de ma demi-sœur et de mon
demi-frère, avec qui je me suis très bien entendue. J’ai noué des liens avec
eux et c’était encore mieux que ce que j’avais imaginé, un vrai bonheur! Nous
avions prévu d’aller en Colombie en août avec mes parents adoptifs. Mais trois
jours avant le départ, des amis de notre famille sont tombés sur une photo de
mariage de ma mère biologique. J’ai été doublement choquée: non seulement elle
m’avait promis de m’attendre pour la cérémonie, mais en plus, on voyait
clairement sur cette photo que c’était des gens assez aisés financièrement,
alors qu’elle nous avait fait croire qu’ils vivaient dans la misère. Nous leur
avions même envoyé de l’argent pour les aider.
“Elle m’a fait passer pour la
méchante de l’histoire”
—Sarah Miserez
“Réalisant qu’ils nous avaient menti et trompés, nous n’avions plus confiance et nous avons décidé d’annuler le voyage. Ma mère biologique l’a très mal pris, elle m’a fait passer pour la méchante de l’histoire et elle a monté toute sa famille contre moi. Pendant des mois, j’ai quand même maintenu le contact, même si elle m’engueulait et m’insultait. J’avais peur de la perdre, mais mon rêve s’était transformé en cauchemar et j’ai énormément souffert de cette histoire. Il y a quelques semaines, je lui ai finalement envoyé un message pour lui dire ce que j’avais sur le cœur. Depuis, elle a essayé à de nombreuses reprises de me contacter, mais je ne lui réponds plus. Je ne sais pas si je renouerai avec elle un jour. Elle a tout brisé, même la relation que j’aurais pu avoir avec mon frère et ma sœur”.
Les nouvelles technologies dans la recherche de ses origines
L’avènement de Facebook - sur lequel un appel peut être propagé à travers le monde avec une facilité et une rapidité déconcertante - a-t-il changé la donne en matière de recherche d’origines? Certainement, juge Stephan Auerbach: «Les réseaux sociaux facilitent la localisation de la famille biologique et permettent une certaine autonomie.
Des personnes viennent parfois nous consulter avec des informations recueillies sur la Toile et nous utilisons nous-mêmes ces outils pour établir le contact avec des potentiels parents.» Petit bémol toutefois: «Il existe une zone d’ombre: ces réseaux donnent une illusion de proximité, de facilité, mais les fraudes sont possibles et il n’est pas aisé d’obtenir des données fiables, vérifiables.»
Pour la psychologue Marion Tièche, le risque existe également de se retrouver confronté à une information à laquelle on n’était pas préparé. Sans diaboliser les réseaux sociaux, on leur reconnaît donc une certaine ambivalence, qui sera d’ailleurs débattue en mai à Bienne lors d’un colloque national sur la question de la recherche d’origines*.
*Colloque national, «La recherche d’origines aujourd’hui: enjeux actuels et perspectives», mardi 8 mai 2018, Bienne. Infos et inscriptions jusqu’au 24 avril: www.pa-ch.ch/colloque.
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